Mon destin, c'est l'effort de chaque nuit vers moi-même, c'est le retour au cœur, à pas lents, le long des villes asservies à la bureaucratie du mystère. Que m'importe d'être né, d'être mort, d'avoir cent ans de cheveux, des dispositions pour la marine marchande, un mètre d'esprit de contradiction et des femmes fidèles dans les lits des autres ? Que m'importe d'avoir ma place retenue d'avance sur ce monde que je connais pour l'avoir fait ? Je suis de ceux qui sèment le destin, qui ont découvert le vestiaire avant de se risquer en pleine vie. Je suis arrivé tout nu, sans tatouages cosmiques. Le doux géant qui me tracasse quand je me sens encore désossé par le sommeil, c'est l'Univers que je me suis créé, qui me tient chaud en rêve. Et si je meurs demain, ce sera d'une attaque de désobéissance.

extrait de "Horoscope" - Haute solitude

La métamorphose... c'est le cerveau de l'homme qui veut entrer dans la chimie et rompre l'illustre uniformité d'où naîtra l'ennui. C'est un effort d'espérance et d'aveuglement vers plus de surprise et moins de mort, car le grand problème sera toujours de contourner les miroirs et de couper à la visite des habitudes...

extrait de Métamorphoses

Aujourd'hui les tempes des hommes retentissent d'appréhension. Jamais encore le monde n'avait gonflé ses joues au point rouge de crever comme il le fait à cette heure. Et, que nous le voulions ou non, notre âme pressent la colère des démons qu'elle invente...

extrait de Tragique

manuscrit de "Suite familière" - Sous la lampe

MERDRIGAL

en dédicrasse

Dans mon cœur en ta présence

Fleurissent des harengs saurs.

Ma santé, c'est ton absence,

Et quand tu parais, je sors.

extrait de Ludions

SPLEEN

Dans un vieux square où l'océan

Du mauvais temps met son séant

Sur un banc triste au yeux de pluie

C'est d'une blonde

Rosse et gironde

Que je m'ennuie

Dans ce cabaret du Néant

Qu'est notre vie.

extrait de Ludions

manuscrit de Pigeondre

L'INTRUS

...Elle dort. Elle s'est repliée avec soin. Elle subit l'empire de ses formes rondes et place ses bras sous sa nuque comme pour soutenir son fragile et précieux sommeil. La bouche est légèrement ouverte, la paupière frémit sous des atomes de fard qui la chatouillent encore. Pareil au courant électrique, le rêve, parfois, traverse ce chef-d'œuvre courbe dont la seule vue me comble et me déchire. J'ai dû bouger, enfreindre une loi, car le visage s'émeut et glisse, sans s'animer pourtant, sans reprendre contact avec le réel. Le sommeil, simplement, a manifesté quelque contrariété devant l'audace pesante de l'intrus. J'admire le soin avec lequel ce repos a été dessiné, inscrit sur le drap fin, combien la pose est réussie, tentante, en dépit de la sécurité qui a présidé au ravissant évanouissement. Une femme qui dort est un tableau. Rien n'a été fait à la légère, et même ce livre, qui a été posé à terre au dernier moment, attire le regard comme un objet précieux, fier de sa place. Cette fleur qui se penche hors de son vase impose à sa tige une rondeur polie, distinguée. La boite à cigarette, le flacon, le bâton de rouge, le mouchoir mince et vaporeux, tous les objets épars sur la table de chevet sont pour moi les accessoires d'un ballet interrompu, que la Belle au Bois Dormant prolonge dans un rêve, et que je quitte à pas de loup pour ne pas le déchirer...

extrait de "Silhouettes"

Depuis cent ans, je parcours les impasses, je cogne les portes, j'implore les lucarnes. Qu'il fait noir dans ce monde où l'on finit par se heurter à son propre corps. Que faire pour éviter ces hordes de soi-même, ces rues pleines de sosies qui longent les murs, silhouettes lancinantes, démarches tordues, figures échevelées qui sortent en coup de vent sous un coup de lumière moqueuse.

extrait de "Marcher"- Haute solitude

LES QUAIS

... Chef-d'œuvre poétique de Paris, les quais ont enchanté la plupart des poètes, touristes, photographes et flâneurs du monde. C'est un pays unique, tout en longueur, sorte de ruban courbe, de presqu'île imaginaire qui semble être sortie de l'imagination d'un être ravissant. Je connais tellement, pour l'avoir faite cent fois, la promenade qui berce le marcheur du quai du Point-du-Jour au quai des Carrières à Charenton, ou celle qui, tout jeune, me poussait du quai d'Ivry au quai d'Issy-les-Moulineaux, que j'ai l'impression d'avoir un sérieux tour du monde sous mes talons. Ces seuls noms : Orsay, Mégisserie, Voltaire, Malaquais, Gesvres, aux Fleurs, Conti, Grands-Augustins, Horloge, Orfèvres, Béthune et place Mazas me suffisent comme Histoire et Géographie. Avez-vous remarqué que l'on ne connaît pas mieux "ses" quais que ses sous-préfectures ? J'attends toujours un vrai Parisien sur ce point : où finit le quai Malaquais, où commence le quai de Conti? Où se trouve le quai de Gesvres ? ...

extrait de Le piéton de Paris

J'écris pour mettre de l'ordre dans ma sensibilité

Clichage instantané des érections du subconcient

La poésie est cette vie de secours où l'on apprend à s'évader des conditions du réel, pour y revenir en force et le faire prisonnier.

extrait de "Suite familière"- Sous la lampe

Le travail est une chose élevée, digne, excellente et morale, mais assez fastidieuse à la longue.

La détente, c'est-à-dire la contemplation, je veux y voir notre état naturel.

extrait de Lanterne magique

La moindre destinée est couverte d'étoiles et de torrents

Poète né, Faiseur de vie, associé et collaborateur de la création...

P. Claudel - Noscuntur Poetae, 1927.

Et peut-être qu'un jour, pour de nouveaux amis Dieu tiendra ce bonheur qu'il nous avait promis

extrait de "Postface"- Sous la lampe